Cet article a été co-écrit avec nos partenaires du Lab.Transition : Groupama AM, Manaos, Mirova, Suravenir et WeeFin.

Les principales incidences négatives en matière de durabilité, ou PAI (Principal Adverse Impact), sont un dispositif clé introduit par le règlement SFDR dans le cadre de la finance durable européenne. Elles visent à rendre visibles les effets négatifs des investissements sur des enjeux environnementaux et sociaux (exemples : pollution, biodiversité, égalité salariale, etc.).

L’utilisation actuelle des PAI

Les PAI jouent un rôle structurant dans la mise en œuvre des politiques d’investissement durable – exclusions, analyse ESG, engagement actionnarial. Elles permettent d’évaluer les incidences négatives potentielles des investissements, en lien avec le principe du « Do No Significant Harm » (DNSH). Leur publication annuelle est obligatoire, au niveau des produits comme de l’entité, et leur présence renforce la transparence des documents précontractuels.

Pourtant, l’usage actuel des PAI ne répond guère à cette promesse. Leur exploitation reste souvent cantonnée à un exercice de reporting, sans réel effet structurant sur les décisions d’investissement. En pratique, si la majorité des fonds déclarent les prendre en compte, 65 %* ne les publient pas systématiquement. « Les PAI sont un sujet de tous les jours pour les acteurs financiers, mais les moyens actuels ne permettent pas l’exploitation de tout leur potentiel et une utilisation effective dans la prise de décision », souligne Lyna Merrar, ESG Specialist chez Weefin.

Couverture incomplète, hétérogénéité, faible standardisation

Dès les premières publications, plusieurs limites sont apparues : couverture incomplète, traitement hétérogène selon les classes d’actifs ou faible standardisation des méthodes. S’y ajoutent des défis de collecte, notamment pour les fonds de fonds ou les portefeuilles diversifiés. Le recours aux fournisseurs de données externes, indispensable en l’absence de de données standardisées, ajoute un niveau de complexité, en particulier pour les entreprises non cotées.

Les outils censés faciliter le reporting, comme l’European ESG Template (EET), modèle de rapport normalisé pour l’information sur les investissements durables et responsables, restent insuffisamment aboutis et ne permettent pas toujours d’assurer une traçabilité claire de la donnée renseignée.

Limitation volontaire

Dans ce contexte, certaines sociétés de gestion limitent volontairement leur approche à quelques indicateurs plus accessibles, faute de pouvoir maîtriser l’ensemble du périmètre. « Les PAI sont essentielles pour évaluer le principe DNSH, mais se limiter à quelques indicateurs réduit notre compréhension des enjeux. Il est crucial d’élargir notre approche pour mieux refléter la complexité des impacts de nos investissements, notamment sur les enjeux sociaux encore trop souvent négligés », témoigne Mathilde Dufour, Head of Sustainability Research chez Mirova.

Résultat ? Une difficulté persistante à interpréter, exploiter et comparer les PAI, tant pour les distributeurs que pour les utilisateurs finaux.

D’importantes limites de mise en œuvre… et réglementaires

Des limites méthodologiques freinant l’exploitation des PAI

Malgré les précisions apportées par les normes techniques réglementaires (RTS) de la SFDR, les PAI souffrent d’un manque d’harmonisation méthodologique qui limite leur comparabilité et leur utilité. Les formules d’agrégation restent floues et leur application varie selon les acteurs. Par exemple, la méthode actuelle consistant à diviser les indicateurs par l’ensemble des encours – y compris ceux non éligibles et non couverts – peut biaiser les résultats. Weefin propose d’y remédier en ajoutant un taux de couverture pour plus de transparence.

Autre difficulté majeure : l’absence de seuils de référence pour interpréter les résultats. Sans repères ni cadre d’analyse, il est difficile d’évaluer la durabilité réelle d’un score, ce qui réduit leur valeur décisionnelle.

De façon générale, des acteurs comme Mirova constatent une grande disparité dans les PAI : là où les PAI binaires (exposition aux armes controversées, aux énergies fossiles, etc.) peuvent être utiles, les PAI sur des sujets plus complexes (comme les déchets ou l’eau) donnent l’illusion d’une comparabilité dans le temps et entre acteurs mais souffrent du manque de robustesse des indicateurs sous-jacents.

À cela s’ajoutent de fréquentes erreurs d’interprétation. Certains indicateurs, y compris les plus simples, sont mal compris ou mal utilisés. C’est le cas par exemple en mesurant le nombre de femmes au conseil d’administration plutôt que le nombre d’hommes, ou en s’arrêtant au conseil d’administration sans aller jusqu’aux instances dirigeantes, pourtant plus révélatrices des pratiques effectives.

Au-delà des aspects techniques, la philosophie même des PAI est remise en question car leur format actuel peine à refléter la complexité réelle des enjeux ESG.

Un cadre réglementaire construit à l’envers

Les institutions européennes ont imposé aux sociétés de gestion la publication d’indicateurs de durabilité – dont les PAI – dans le cadre du règlement SFDR, sans attendre la mise en place d’une base de données normalisée, arrivée plus tard avec la directive CSRD.

Cette approche descendante, perçue comme dogmatique, a généré un décalage entre les exigences réglementaires, la disponibilité des données côté entreprises, et les besoins réels des investisseurs. « Il faudrait rétablir dans le bon ordre les réglementations UE pour faire de la durabilité une vraie force pour l’Europe », propose Marie-Pierre Peillon, Directrice de la Recherche et de la stratégie ESG chez Groupama AM.

Cette absence de cadre harmonisé au départ a conduit certains acteurs, comme Groupama AM, à créer leurs propres passerelles entre SFDR et CSRD pour réconcilier les exigences.

Lancée en juillet 2023, la révision de la SFDR vise à clarifier les concepts et à harmoniser les obligations de publication. Mais elle reste insuffisante : elle ne répond ni aux besoins des investisseurs, ni aux limites de production de données côté entreprises.

Des indicateurs techniques, peu lisibles et difficiles à actionner

Les PAI restent largement inaccessibles pour les clients finaux. « Les PAI sont avant tout des outils réglementaires et techniques, leur lisibilité pour les clients finaux reste limitée. Comprendre l’impact réel d’un portefeuille sur des critères comme la biodiversité ou les déchets dangereux n’est pas évident, d’autant que les méthodologies varient. Dur de savoir en regardant les résultats PAI si un fonds est performant d’un point de vue ESG ou non », soulignent Zeineb Esseghairi & Pauline Casabianca, respectivement Manager Customer Succes et ESG & Data Manager chez Manaos.

Leur exploitation requiert du temps, une bonne compréhension méthodologique et une capacité à traduire les données en décisions ESG concrètes – ce qui représente une charge importante voire chronophage pour tous les acteurs, grands ou petits.

Des acteurs mobilisés pour dépasser les limites des PAI

Face à ces limites, de nombreux acteurs s’efforcent de trouver des solutions pour rendre les PAI utiles, opérationnelles, voire stratégiques. Sur le terrain de la donnée, des plateformes comme Manaos facilitent leur exploitation via l’automatisation et la centralisation des calculs. Weefin accompagne les acteurs dans la mise en œuvre méthodologique, en diffusant de bonnes pratiques concrètes. Groupama AM milite pour une simplification du cadre CSRD/ESRS et une meilleure fiabilité des données. Suravenir souhaite les intégrer comme outil de pilotage et de dialogue actionnarial. « Les PAI représentent un formidable outil de pilotage et il serait dommage de s’en priver », souligne Anne Brizard, Responsable Finance Durable au sein du Département Investissements de Suravenir.

Conclusion

Les PAI ont été conçues comme un levier de transparence et de transformation dans la finance durable. Leur potentiel reste largement sous-exploité, freiné par des failles méthodologiques, des contraintes réglementaires mal articulées et des lacunes persistantes en matière de données.

Pourtant, un mouvement est en marche : acteurs de marché, plateformes, sociétés de gestion s’emparent du sujet pour dépasser le simple exercice de conformité. L’enjeu n’est plus de savoir si les PAI ont un intérêt, mais comment les rendre enfin exploitables, comparables et stratégiques.

À condition d’évoluer vers des outils robustes, lisibles et connectés aux réalités de terrain, les PAI pourraient devenir un véritable moteur d’alignement entre performance financière et durabilité. Cela suppose un engagement collectif, en particulier sur les données sociales, encore trop en retrait, et sur l’intégration de l’ensemble des classes d’actifs.

 

*Source : Baromètre de la finance durable – Etats des lieux des pratiques ESG & impact des gestionnaires d’actifs – Weefin